Lancée en 2022, la série souligne les contributions de leaders modernes qui ont consacré leur vie à préserver leur culture et à améliorer la qualité de vie des peuples autochtones au Canada.
Nous avons discuté de l’importance de la préservation et de la protection des langues avec les personnes à l’honneur cette année et leurs proches.
Julia Haogak Ogina : linguiste, autrice et danseuse du tambour
Devant l’érosion de son héritage inuit, Julia Haogak Ogina consacre sa vie à la revitalisation de la culture et des langues de ses ancêtres. Autrice et professeure de danse du tambour accomplie, elle contribue à retrouver et préserver des chansons de danse du tambour, qu’elle considère comme un canal essentiel pour le savoir ancestral. Pendant près de 20 ans au sein de la Kitikmeot Inuit Association, elle participe à la création d’un cadre linguistique régional et de programmes favorisant l’apprentissage et le transfert des connaissances par l’oral.
Qu’est-ce que la danse du tambour?
C’est beaucoup de choses. D’abord, c’est une célébration, une façon d’exprimer les expériences vécues par les Inuit. La danse du tambour raconte les histoires du territoire, des animaux, des déplacements et de l’état d’âme des gens. C’est une source de fierté, de puissance intérieure et d’enracinement. C’est un moment pour se retrouver.
À l’époque, les gens se rassemblaient pour la danse du tambour quand il y avait abondance. Au retour de la chasse dans le territoire, ils se retrouvaient et se racontaient leurs expériences. Ces récits devenaient leurs chansons, leurs histoires.
Certaines chansons sont si anciennes qu’on ne sait plus qui en est à l’origine. Et les histoires qu’elles racontent sont une fenêtre ouverte sur un temps qui n’existe plus aujourd’hui.
La danse du tambour exprime beaucoup d’émotions. Elle exprime des épreuves et la manière dont on les surmonte. Elle raconte qui nous sommes, comment nous vivons. Et elle utilise la langue pour exprimer les émotions, pour évoquer les saisons, pour décrire où l’on se trouve, que ce soit sur les glaces en hiver, sur la terre au printemps ou en été, à l’intérieur des terres ou sur la côte. C’est une langue très imagée.
Autrefois, en attendant que les autres reviennent de la chasse, on chantait les vieilles chansons, celles qui avaient déjà été transmises. Une fois tous les groupes réunis, on échangeait de nouvelles chansons et histoires pour exprimer ce qu’on ressentait et nourrir le lien avec les animaux et la nature.
Le vocabulaire utilisé dans ces chansons ne faisait pas partie du langage courant. Il vivait dans les chansons et c’est ainsi que la langue était préservée. Les rassemblements de danse du tambour étaient leur espace de partage.
Qui vous a enseigné la danse du tambour?
J’ai grandi avec la danse du tambour. Mon arrière-grand-mère, mes grands-parents, ma mère, mon père… ils étaient tous des conteurs. Ils chantaient tous des chansons, se rendaient visite et c’est comme ça que les chansons commençaient, que les tambours résonnaient. C’était ça, mon enfance, mon adolescence.
J’ai un tambour à la maison et je chante encore. Mes petites-filles chantent avec moi et j’ai des camarades qui viennent chanter à la maison aussi.
Quel est le lien entre la danse du tambour et la préservation de la langue?
Sans les histoires, il n’y a pas de danse. Et sans chanteurs ou chanteuses, il n’y a pas d’histoires.
Connaître la langue permet de continuer à les transmettre telles qu’elles ont été racontées la première fois.
Pourquoi avez-vous voulu réintroduire la danse du tambour dans votre communauté?
Ce qui comptait le plus pour moi, c’était la richesse des histoires, et je constatais qu’il y avait un fossé entre les aînés et aînées, la génération du milieu, les jeunes et les enfants. Il y avait des gens qui ne comprenaient pas cette richesse.
Quand un aîné chante une chanson, il ferme souvent les yeux et se laisse complètement porter par la chanson et le rythme. Avant, je me demandais pourquoi. C’est parce que cet aîné voit l’histoire et les expériences se dérouler tout en les chantant.
Je peux me laisser porter aussi parce que je comprends une bonne partie des paroles. Mais il y avait des mots que je ne comprenais pas. Alors si moi, en tant qu’adulte, je ne les comprenais pas, il y a fort à parier que les jeunes en comprenaient encore moins… et la danse devient une simple danse. C’est une histoire ancienne qui leur échappe.
Qu’est-ce qui a causé cette fracture du savoir entre les générations?
Lorsque les premiers contacts ont eu lieu avec les Inuit de notre région, à l’époque des expéditions, vers la fin des années 1800 et au début des années 1900, des missionnaires faisaient partie du voyage. Ils sont arrivés avec la Bible, qui véhicule des valeurs et des croyances bien différentes de celles des Inuit.
Sans vraiment comprendre pourquoi les Inuit pratiquaient la danse du tambour ni ce qu’elle représentait, les missionnaires ont commencé à dire à notre peuple qu’il fallait arrêter de faire certaines choses parce qu’elles n’étaient pas dans la Bible. Certaines chansons de cette époque-là ne sont donc plus chantées ni racontées aujourd’hui.
Depuis deux ans, je dirige des danses avec mon mari dans un espace communautaire où l’on pratique la danse du tambour une fois par semaine. Nous avons les tambours, nous les entretenons, et nous chantons et dansons avec la communauté. J’enseigne comment faire à ma fille et à mes petites-filles. Je passe tranquillement le flambeau, en observant qui parmi les plus jeunes va le saisir.
Nous en sommes à un point où les gens se sentent plus forts et veulent parler de leur vécu. Ils cherchent à échanger avec les personnes qui préservent la langue, celles qui gardent les chansons vivantes. Elles sont toujours là. Peu nombreuses, mais toujours là! Et une génération plus nombreuse veut apprendre d’elles. Cette génération qui apprend à guider à son tour a maintenant le désir de créer ses propres chansons, ses propres récits.
C’est en préparant la prochaine génération que nous gardons la langue vivante.
Cette page sera mise à jour lorsque le reste de la série de timbres sera dévoilée.
Un quatrième jeu de timbres célèbre des leaders inuit, métis et des Premières Nations
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