À l’été 1990, des leaders autochtones de partout sur le continent ont participé au 3e rassemblement des Autochtones gais et lesbiennes d’Amérique du Nord à Beausejour, au Manitoba, au nord de Winnipeg. Ce rassemblement est devenu un moment marquant puisque c’est à cette occasion que Myra Laramee a introduit le concept de bispiritualité.
Cet événement et son héritage font partie de l’un des quatre sujets en vedette dans la plus récente émission de timbres de Postes Canada. Émise pour le Mois de la Fierté et intitulée « Lieux de la Fierté », cette série rend hommage aux espaces partout au pays pour lesquels la communauté queer du Canada s’est battue.
Le terme « bispiritualité » fait référence à la diversité des interprétations autochtones du genre, des relations avec le monde spirituel et les ancêtres, et de l’amour et du soutien de la famille et de la communauté. Il peut décrire l’identité sexuelle, spirituelle ou de genre.
Selon l’aîné Albert McLeod, l’un des organisateurs de l’événement, la naissance de ce concept et la possibilité de se nommer de cette façon a été un acte de libération.
« Cette connexion spirituelle précède le colonialisme », dit M. McLeod, qui précise que la société occidentale s’est montrée très réticente à accepter les valeurs et les identités autochtones.
« Ce rassemblement, poursuit-il, nous a permis de surmonter le poids du colonialisme. On a établi un lien très fort avec nos ancêtres et le pouvoir de nos cérémonies, mais aussi avec le pouvoir de notre identité de personnes bispirituelles. »
Deux ans plus tôt, en 1988, le premier rassemblement des Autochtones gais et lesbiennes d’Amérique du Nord avait lieu à Minneapolis, au Minnesota. M. McLeod et dix autres personnes ont fait le trajet depuis Winnipeg pour y assister et, ajoute-t-il, « pour participer au mouvement. L’expérience a été vraiment stimulante et tellement révélatrice. » En 1990, McLeod et les autres acceptent d’accueillir le rassemblement et choisissent le site du Sandy-Saulteaux Spiritual Centre à Beausejour. À l’époque, les questions entourant l’identité autochtone ont été propulsées sur le devant de la scène nationale pendant la résistance de Kanehsatà:ke, un affrontement de 78 jours entre la nation Kanien’kehá꞉ka (Mohawk) et la Sûreté du Québec, la GRC et l’armée canadienne. La crise est survenue en réponse à des plans d’aménagement d’un terrain de golf sur des terres Kanien’kehà:ka, y compris un cimetière.
« C’était une période où nous cherchions à savoir quelle était notre place dans nos communautés, si on était des membres des Premières Nations, des Inuit ou des Métis, ce que signifiaient notre histoire, nos cérémonies et notre guérison », explique M. McLeod. Le 3e rassemblement des Autochtones gais et lesbiennes d’Amérique du Nord était l’occasion idéale pour y parvenir.
Tout au long de la fin de semaine à Beausejour, les personnes présentes ont pu en apprendre davantage sur leur histoire spirituelle, y compris sur l’importance de la hutte de sudation, des tambours de pow-wow et de la cérémonie du calumet. Pour M. McLeod, ces éléments visent à connecter les gens au monde spirituel. « Cette fin de semaine-là, dit-il, je crois qu’on a vécu cette connexion avec nos ancêtres, avec le pouvoir de nos cérémonies, mais aussi avec le pouvoir de notre identité de personnes bispirituelles. »
L’introduction du concept de bispiritualité a immédiatement marqué les personnes présentes. À leur retour du rassemblement, bon nombre de leaders autochtones ont changé le nom de leur organisation pour remplacer « gais et lesbiennes » par « bispirituel », et ce, en l’espace de quelques mois.
« Il a fallu des années pour que l’ensemble de la communauté queer constate ce qui s’était passé, pour qu’elle comprenne le nom, mais aussi pour qu’elle l’incorpore dans son travail », explique M. McLeod, qui a cofondé de la Nichiwakan Native Gay Society (maintenant 2Spirit Manitoba) à Winnipeg, l’un des premiers groupes d’Autochtones 2ELGBTQIA+ au Canada.
En 2017, le premier ministre de l’époque, Justin Trudeau, a présenté des excuses officielles pour les torts causés par le colonialisme aux membres de la communauté LGBTQ au Canada. Pour la première fois dans l’histoire du pays, le gouvernement fédéral reconnaissait explicitement les personnes bispirituelles et autochtones LGBTQI+. Cinq ans plus tard, en 2022, dans le cadre d’un plan d’action fédéral, la mention « 2EL » est officiellement ajoutée devant le sigle utilisé jusqu’alors pour former « 2ELGBTQI+ », soulignant ainsi l’importance du terme. Aujourd’hui, le concept de bispiritualité est profondément ancré dans l’identité queer au pays.
Cet événement est encore un exemple puissant de décolonisation et de libération des personnes queers.
« Il y a maintenant une génération de personnes bispirituelles qui ont grandi sans le fardeau que nous avons porté, dit M. McLeod. Elles ne tardent pas à sortir du placard. Elles explorent leur identité. Elles participent à la communauté. Et c’était précisément notre objectif : l’inclusion. Vivre pleinement notre vie en tant qu’Autochtones, citoyens et citoyennes de cette nation. Sans avoir à nous expliquer ou à nous excuser d’exister. »
Un nouveau timbre célèbre le moment déterminant qui a vu naître le concept de bispiritualité
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