Un quatrième jeu de timbres célèbre des leaders inuit, métis et des Premières Nations

13 juin 2025
10 minutes de lecture

Lancée en 2022, la série souligne les contributions de leaders modernes qui ont consacré leur vie à préserver leur culture et à améliorer la qualité de vie des peuples autochtones au Canada.  

Nous avons discuté de l’importance de la préservation et de la protection des langues avec les personnes à l’honneur cette année et leurs proches.   


Julia Haogak Ogina : linguiste, autrice et danseuse du tambour  

Devant l’érosion de son héritage inuit, Julia Haogak Ogina consacre sa vie à la revitalisation de la culture et des langues de ses ancêtres. Autrice et professeure de danse du tambour accomplie, elle contribue à retrouver et préserver des chansons de danse du tambour, qu’elle considère comme un canal essentiel pour le savoir ancestral. Pendant près de 20 ans au sein de la Kitikmeot Inuit Association, elle participe à la création d’un cadre linguistique régional et de programmes favorisant l’apprentissage et le transfert des connaissances par l’oral.

Qu’est-ce que la danse du tambour? 

C’est beaucoup de choses. D’abord, c’est une célébration, une façon d’exprimer les expériences vécues par les Inuit. La danse du tambour raconte les histoires du territoire, des animaux, des déplacements et de l’état d’âme des gens. C’est une source de fierté, de puissance intérieure et d’enracinement. C’est un moment pour se retrouver.   

À l’époque, les gens se rassemblaient pour la danse du tambour quand il y avait abondance. Au retour de la chasse dans le territoire, ils se retrouvaient et se racontaient leurs expériences. Ces récits devenaient leurs chansons, leurs histoires.   

Certaines chansons sont si anciennes qu’on ne sait plus qui en est à l’origine. Et les histoires qu’elles racontent sont une fenêtre ouverte sur un temps qui n’existe plus aujourd’hui.  

La danse du tambour exprime beaucoup d’émotions. Elle exprime des épreuves et la manière dont on les surmonte. Elle raconte qui nous sommes, comment nous vivons. Et elle utilise la langue pour exprimer les émotions, pour évoquer les saisons, pour décrire où l’on se trouve, que ce soit sur les glaces en hiver, sur la terre au printemps ou en été, à l’intérieur des terres ou sur la côte. C’est une langue très imagée.  

Autrefois, en attendant que les autres reviennent de la chasse, on chantait les vieilles chansons, celles qui avaient déjà été transmises. Une fois tous les groupes réunis, on échangeait de nouvelles chansons et histoires pour exprimer ce qu’on ressentait et nourrir le lien avec les animaux et la nature.   

Le vocabulaire utilisé dans ces chansons ne faisait pas partie du langage courant. Il vivait dans les chansons et c’est ainsi que la langue était préservée. Les rassemblements de danse du tambour étaient leur espace de partage.   

 

Qui vous a enseigné la danse du tambour? 

J’ai grandi avec la danse du tambour. Mon arrière-grand-mère, mes grands-parents, ma mère, mon père… ils étaient tous des conteurs. Ils chantaient tous des chansons, se rendaient visite et c’est comme ça que les chansons commençaient, que les tambours résonnaient. C’était ça, mon enfance, mon adolescence.  

J’ai un tambour à la maison et je chante encore. Mes petites-filles chantent avec moi et j’ai des camarades qui viennent chanter à la maison aussi.  

 

Quel est le lien entre la danse du tambour et la préservation de la langue? 

Sans les histoires, il n’y a pas de danse. Et sans chanteurs ou chanteuses, il n’y a pas d’histoires.   

Connaître la langue permet de continuer à les transmettre telles qu’elles ont été racontées la première fois.   

 

Pourquoi avez-vous voulu réintroduire la danse du tambour dans votre communauté? 

Ce qui comptait le plus pour moi, c’était la richesse des histoires, et je constatais qu’il y avait un fossé entre les aînés et aînées, la génération du milieu, les jeunes et les enfants. Il y avait des gens qui ne comprenaient pas cette richesse.   

Quand un aîné chante une chanson, il ferme souvent les yeux et se laisse complètement porter par la chanson et le rythme. Avant, je me demandais pourquoi. C’est parce que cet aîné voit l’histoire et les expériences se dérouler tout en les chantant.   

Je peux me laisser porter aussi parce que je comprends une bonne partie des paroles. Mais il y avait des mots que je ne comprenais pas. Alors si moi, en tant qu’adulte, je ne les comprenais pas, il y a fort à parier que les jeunes en comprenaient encore moins… et la danse devient une simple danse. C’est une histoire ancienne qui leur échappe.   

 

Qu’est-ce qui a causé cette fracture du savoir entre les générations?  

Lorsque les premiers contacts ont eu lieu avec les Inuit de notre région, à l’époque des expéditions, vers la fin des années 1800 et au début des années 1900, des missionnaires faisaient partie du voyage. Ils sont arrivés avec la Bible, qui véhicule des valeurs et des croyances bien différentes de celles des Inuit.   

Sans vraiment comprendre pourquoi les Inuit pratiquaient la danse du tambour ni ce qu’elle représentait, les missionnaires ont commencé à dire à notre peuple qu’il fallait arrêter de faire certaines choses parce qu’elles n’étaient pas dans la Bible. Certaines chansons de cette époque-là ne sont donc plus chantées ni racontées aujourd’hui.  

Depuis deux ans, je dirige des danses avec mon mari dans un espace communautaire où l’on pratique la danse du tambour une fois par semaine. Nous avons les tambours, nous les entretenons, et nous chantons et dansons avec la communauté. J’enseigne comment faire à ma fille et à mes petites-filles. Je passe tranquillement le flambeau, en observant qui parmi les plus jeunes va le saisir.

Nous en sommes à un point où les gens se sentent plus forts et veulent parler de leur vécu. Ils cherchent à échanger avec les personnes qui préservent la langue, celles qui gardent les chansons vivantes. Elles sont toujours là. Peu nombreuses, mais toujours là! Et une génération plus nombreuse veut apprendre d’elles. Cette génération qui apprend à guider à son tour a maintenant le désir de créer ses propres chansons, ses propres récits.   

C’est en préparant la prochaine génération que nous gardons la langue vivante.  

Sophie McDougall : enseignante, aînée et gardienne de la langue  

Tout au long de sa vie, Sophie McDougall (1928-2023) transmet ses vastes connaissances sur sa culture et sa langue à des générations d’élèves et de membres de la communauté. Née à St. Louis, en Saskatchewan, elle travaille comme enseignante avant de consacrer sa vie à documenter et à enseigner le michif et le français michif, un dialecte régional. Langue traditionnelle d’une grande partie de la population métisse, le michif est classé comme étant en situation critique par l’UNESCO. Sophie McDougall reçoit la médaille d’or de l’Ordre de Gabriel Dumont en reconnaissance de sa vie au service du peuple métis du Canada.  

Angela Rancourt est une éducatrice métisse et une amie de Sophie McDougall.  

Cindy Gaudet est une chercheuse et éducatrice métisse, et une amie de Sophie McDougall.  

Parlez-nous de Sophie… 

Cindy : Elle était tenace, très intelligente, lumineuse et généreuse de son temps, de son amour et de ses connaissances.  

Angela : Elle était notre livre d’histoires. Une base de données vivante de tous nos récits.  

Cindy : Tout le monde allait voir Sophie quand il fallait savoir quelque chose. Est-ce que ces gens sont de la parenté? Quel est notre lien? Quand l’église a-t-elle été déplacée? Qu’est-ce qui se passait à ce moment-là? Quand telle chose est-elle arrivée? Elle était nos archives familiales.   

Angela : Elle a joué un rôle essentiel dans la transmission de la fierté michif et métisse.   

 

Elle tenait profondément à transmettre sa langue. Pourquoi est-il si important de préserver et de protéger le français michif? 

Cindy : On ne peut pas penser la langue de façon isolée, sans tenir compte du contexte social, culturel, politique et relationnel. Alors quand on valorise la langue, ce sont tous ces éléments qu’on élève en même temps. Ce que j’ai appris en travaillant avec Sophie, c’est que la langue, c’est notre façon de vivre, notre identité.  

Angela : Ce n’est pas comme apprendre une langue de manière traditionnelle, en apprenant à conjuguer des verbes, à compter jusqu’à dix, à nommer les couleurs… Oui, on pourrait apprendre le michif ainsi, mais est-ce qu’on apprendrait quelque chose sur nous? Pas du tout. Il faut donc s’appuyer sur les façons traditionnelles dont nos familles transmettaient la langue : en discutant à la table de cuisine. Parce que ce sont les récits liés à la langue qui nous permettent d’apprendre qui on est, de connaître nos familles, nos terres, notre histoire.


De quelles autres façons Sophie a-t-elle œuvré à préserver et protéger sa langue? 
 

Angela : Nous avons lancé un programme préscolaire en michif à l’école peu après le projet des cartes. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait mieux soutenir les familles et les communautés dans l’apprentissage de la langue. Aller dans les classes pour l’enseigner à des enfants de trois, quatre ou cinq ans n’allait pas suffire pour assurer la survie de la langue. Il fallait créer un espace pour que les familles puissent s’y plonger. C’est là que Sophie a dit : « Mettez-le sur le téléphone, il faut que ce soit sur leur téléphone! » Alors nous avions besoin d’une application.  

Offerte pour Apple et Android, l’application Learn Michif French présente plus de 3 000 traductions et prononciations audio, et près de 800 phrases fournies par Sophie et d’autres personnes gardiennes de la langue.

Angela : Notre communauté a aussi mis sur pied un programme de français michif au secondaire. Sophie en parlait depuis longtemps. Nous n’avons pas pu le concrétiser de son vivant; il a été lancé environ un an après son départ.   

Tout le programme est basé sur ses récits. Il s’articule autour de qui nous sommes, collectivement et individuellement, et est axé sur l’identité, le territoire, les relations ainsi que sur la culture et la fierté michif.  

L’idée même du programme s’inspire de l’esprit des conversations autour de la table de cuisine. On apprend en faisant différentes choses ensemble : en cuisinant, en jardinant, en allant à la pêche, en prenant le thé…   

Cindy : Elle a recréé l’apprentissage autour de la table de cuisine, mais dans la salle de classe, où Sophie était une tante en visite, une aînée invitée. C’est presque révolutionnaire, dans un certain sens.    

Angela : Notre école secondaire offre maintenant un programme en français michif. J’ai commencé à l’enseigner cette année. Il est désormais offert à l’échelle provinciale, pas juste localement. Et je pense que c’était le rêve de Sophie. Elle disait qu’elle n’aurait jamais imaginé le jour où le michif serait parlé dans les écoles.  

Cindy : Elle continue à vivre à travers nous et avec nous.  

 

Sophie adorait la fête des Mères. Ses funérailles ont eu lieu le jour de la fête des Mères, en 2023, et vous nous parlez d’elle le lendemain de la fête des Mères 2025. Que représentait Sophie pour vous, personnellement?  

Angela : Sophie continue d’être la source d’inspiration du travail que nous faisons dans la communauté. Un travail qui est aussi au cœur de ma thèse et de ma pratique. Sophie était ma meilleure amie de 94 ans. Une présence lumineuse dans mon parcours.  

Cindy : Elle portait la terre, elle portait son peuple, elle portait l’esprit du monde autour d’elle. Peu importe où je suis, elle est là parce que son esprit est immense.

Bruce Starlight : linguiste, aîné et gardien du savoir 

Connu sous le nom de Dit’óní Didlishí (Aigle criard), Bruce Starlight est l’une des dernières personnes à parler couramment le tsúut’ínà. Il se consacre depuis plus d’une cinquantaine d’années à la préservation de sa langue et de sa culture. Il fonde le Tsúut’ínà Gunáhà Násʔághà, un institut voué à la préservation et à la revitalisation de sa langue maternelle, et agit à titre de commissaire linguistique pour la Nation Tsuut’ina. Enseignant et conférencier accompli, il crée de nombreuses ressources pour l’enseignement du tsúut’ínà, dont des dictionnaires et des enregistrements. En 2023, l’Université Mount Royal lui décerne un doctorat honorifique.  

 

Pourquoi est-il important de préserver le tsúut’ínà?  

Si on ne préserve pas notre langue, on ne préservera jamais notre identité.   

Nous avons perdu notre langue à cause des pensionnats, du colonialisme, de la bureaucratie… Nous avons essuyé toutes les formes d’atteintes imaginables à notre langue, certaines si profondes qu’elles en ont effacé des pans entiers. Mais ce qu’il nous reste, ce que nous continuons de parler, c’est vivant. Ça a sa propre vie. Comment Shakespeare appelait-il cela déjà? Métaphysique. C’est exactement ce qu’est notre langue. Elle est métaphysique. Elle est notre être, notre ADN.   

La préservation est essentielle, parce qu’elle représente notre savoir, ce dans quoi nous avons grandi. Et il y a des choses qu’on ne pourra jamais traduire, surtout ces mots qui expriment l’empathie et la compassion. On ne peut pas les rendre en anglais. C’est impossible.   

Préserver la langue, c’est tenter d’inverser cette perte. La perte de la langue, mais aussi celle du ressenti. C’est difficile à retrouver. Les belles paroles et l’argent ne suffiront pas. Il faut un engagement réel pour assurer la survie des langues. Archives, enregistrements, balados… il faut utiliser tous les moyens pour faire vivre nos langues.   

 

Que fait-on pour revitaliser le tsúut’ínà?  

Une chose qu’on dit souvent au sujet de nos enfants, c’est que leur fierté et leur identité les accompagnent… jusqu’à ce qu’ils montent dans l’autobus et passent les portes de l’école non autochtone. Mon petit-fils a participé à une rencontre pour l’intégration de vrai contenu autochtone au programme scolaire de l’Alberta. Et il a dit : « Tout ce qu’on apprend sur notre culture, c’est la Journée du chandail orange. »   

Alors nous demandons au gouvernement provincial de revoir le contenu autochtone de notre programme scolaire. Par contenu autochtone, on n’entend pas une simple journée commémorative sur les 10 mois d’école. Il faut que ça fasse partie du quotidien.   

La préservation de la langue, c’est un engagement de toute une vie et c’est ce qui me donne de l’espoir. Je lève mon chapeau aux jeunes qui y voient. Ce n’est peut-être pas mon tsúut’ínà, mais c’est du tsúut’ínà et il grandira.  

 

Que pouvons-nous faire pour aider? 

Eh bien, simplement s’y intéresser. Je ne sais pas quels peuples autochtones vivent près de chez vous, mais demandez-leur : « Comment dit-on “comment ça va” dans votre langue? Et comment répond-on? » C’est le premier pas.   

Mais ne rien faire sauf se dire : « Ah, c’est très intéressant. C’est une jolie langue… » Non. Elle n’a rien de joli. C’est une langue de survie parce que nous sommes encore là, alors que selon toute logique coloniale, nous aurions dû disparaître depuis longtemps.  

Alors, comment aborder l’éléphant dans la pièce : le racisme, la marginalisation, le manque d’inclusion? Et le fait qu’on tende si rarement la main en disant : « Viens, je vais t’aider »? C’est ce dont nous avons besoin.   


Pourquoi la préservation de la langue est-elle devenue si importante pour vous?
 

J’ai été beaucoup de choses dans la vie : bûcheron, agriculteur, grand éleveur…  

Quand mon père est décédé et qu’il n’y avait personne pour s’occuper de mes frères et sœurs et de ma mère, j’ai dû quitter l’école secondaire. Il a fallu que je travaille, que je me batte pour nourrir ma famille. J’ai étudié [la linguistique] à l’université à la fin de la quarantaine.   

Mon avantage, c’était que j’étais immergé dans la langue tsúut’ínà, mais j’avais besoin d’étudier la linguistique pour affiner mes connaissances. Je croyais que je le parlais naturellement. Je pensais tout savoir, mais ce n’était pas le cas.   

J’ai réussi à obtenir une petite subvention [pour l’institut Tsúut’ínà Gunáhà Násʔághà, au début des années 2000] et nous avons commencé à enregistrer les personnes qui étaient encore là à l’époque et qui participaient [à la préservation du tsúut’ínà]. 

Trois personnes qui parlaient couramment la langue ont lancé le projet et seulement l’une d’entre elles est encore en vie. C’est moi. Alors je dis toujours aux gens : Dépêchez-vous, je ne rajeunis pas. Enregistrez-moi le plus possible pour que vous puissiez garder ce que je sais ou du moins, une petite partie. »  

Un quatrième jeu de timbres célèbre des leaders inuit, métis et des Premières Nations

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